Monsieur le Président- délégué,
Mesdames et Messieurs,
Chers -es amis -es
Mes remerciements vont à la Fondation Hassan II en la personne de Monsieur le Président-délégué le Professeur Omar AZZIMAN et Monsieur le Secrétaire général de la Fondation le Dr Abderrahmane ZAHI, pour avoir permis d’édition de ce volume. Merci également à tous les cadres de la Fondation Hassan II pour leur mobilisation pour la réussite de cet événement.
Mes remerciements vont aussi au professeur Mohamed Berriane qui a coordonné avec rigueur et bienveillance ce travail d’équipe qui n’était pas une mince affaire et qui a été tout au long de cette réalisation encourageant et stimulant.
Permettez-moi de considérer cette expérience comme une opération intellectuelle de « جمع الشمل » et à laquelle ont participé des experts reconnus sur les questions migratoires, des intellectuels sympathisants ou amis du Maroc et puis nous autres, Marocains de l’extérieur ou d’ici.
Nul doute que la diversité des approches proposées dans ce volume est un témoignage de la richesse de cette problématique et de sa dimension humaine très variée.
Je ne serais pas laudatif sur ce travail simplement parce que j’y ai pris part ou encore parce que ceux qui y ont participé jouissent d’une notoriété intellectuelle internationale ; mais d’abord et surtout parce qu’il a été une occasion d’aller à la rencontre de nous-mêmes, dans la diversité culturelle, religieuse ou ethnique qui caractérise singulièrement notre pays.
Un autre mérite de ce travail et de son architecture d’ensemble et dont le mérite revient très sincèrement au professeur Berriane, c’est d’avoir opérer une rupture avec cette vision de notre marocanité et de notre présence dans le monde, régulièrement assignée aux seuls confins de pays européens.
Certes on ne peut pas faire abstraction de l’histoire, ni ignorer, que sur plusieurs décennies, cette immigration a été essentiellement ouvrière et à destination de certains pays européens ; mais il est tout autant nécessaire aujourd’hui d’élargir notre regard, de relever et d’apprécier d’autres destinations qui se sont imposées au fil du temps et probablement partant de motivations et d’attentes autres qui ont conduit à l’immigration.
Par ce faire, nous accédons également aux modalités et conditions d’insertion de nos ressortissants et aux légitimités mêmes, qu’ils se sont forgés pour expliquer leur présence dans leur pays de résidence. Le mérite de ce travail collectif est d’avoir mis l’accent sur ces nouvelles réalités et dont certaines ont été très peu ou pas du tout examinées encore.
La lecture attentive de ce volume relèvera par ailleurs l’absence de la notion de retour comme étape nécessairement encore partie prenante de tout projet migratoire marocain, mais il est remarquable de constater qu’aucune contribution n’a décelé des intentions affirmées et déclarées de « désaffiliation » de nos ressortissants avec le Maroc.
Au fond on pourrait presque dire que nos ressortissants, pour ne pas s’encombrer de l’impact psychologique important à plus d’un égard de la question du retour, ont opéré et opèrent en permanence quelque chose qui s’apparente à des « extensions territoriales » et dans lesquelles leur Maroc est toujours présent.
Ainsi chacun emporte avec lui dans son voyage un peu de son Maroc par fidélité, par peur de l’inconnu culturel qu’il va découvrir et probablement encore pour ne pas se sentir déraciné.
Cette problématique est de moins en moins perceptible dans l’espace européen tellement l’apport de nos concitoyens s’est imposé, souvent non sans résistance, mais a fini par trouver sa place dans ce que Roger Bastide désigne par les « interpénétrations civilisationnelles »
C’est outre atlantique et probablement encore au plus près de nous dans l’immensité africaine que ces considérations revêtent aujourd’hui une toute autre dimension qui gagne à être connue et étudiée.
Je voudrais saisir cette occasion pour plaider pour l’émergence d’un espace scientifique transnational dédié à la question migratoire marocaine. Les échanges aujourd’hui se réduisent à des groupes réunis par les intérêts du moment ou par des collaborations ponctuelles, ceci nous parait insuffisant et ne permet pas aux chercheurs de divers horizons de créer des synergies intellectuelles au long terme entre eux, à commencer par des émulations nécessaires pour redéfinir et mettre en harmonie de nouveaux paradigmes qui s’adaptent aux réalités migratoires marocaines d’aujourd’hui.
On le voit bien même si celle-ci n’a pas totalement disparue, que la trilogie : Besoin – travail – retour a perdu de sa signification pour voir apparaitre d’autres préoccupations ou intentions : comme aventure – enracinement et même fin de vie dans l’immigration.
Bref et à la place d’un discours têtu sur le transfert des compétences ce qui maladroitement parfois laisserait supposer que l’université marocaine est un désert, je plaide pour des collaborations régulières, pour une réelle mutualisation des expériences et des connaissances, cela nous parait plus juste et plus convenable.
Au-delà de cette remarque, je voudrai dire également, qu’intimement j’ai vécu l’expérience de collaboration à ce travail, d’abord comme un retour sur investissement pour mon pays pour ne pas dire remboursement d’une dette envers lui pour tout ce qu’il m’a donné.
Aussi, il va de soi que dans mon domaine de recherche, on s’aventure rarement sans que soient mobilisés consciemment ou inconsciemment les sédiments profonds de notre culture et de notre éducation. Ils ont été souvent mobilisés dans mes travaux ce qui les inscrivaient dans une sorte d’intimité mais une intimité vigilante et très reconnaissante à l’éducation de mes parents dont je voudrai saluer la mémoire.
Je voudrai ici vous partagez une remarque concernant mon propre travail avant de revenir sur quelques éléments de lecture concernant ce volume.
En effet, malgré de longues années de recherche, je suis toujours confronté à une question présente par défaut ou par déficit dans mes recherches : Je veux dire la place des femmes âgées dans l’immigration marocaine.
Si j’y reviens c’est surtout par un détour méthodologique et pour dire combien cette question n’a pas encore l’assise qu’elle mérite dans nos travaux et ceci à cause d’un obstacle de taille dans son approche. J’avais souligné cela dans un texte publié il y a déjà quelques années que j’avais intitulé : Plaidoyer pour une vieillesse absente, pour dire que la génération des pionnières, qui ont accompagné leur époux ou qui les ont rejoints (et qui ne sont ni les quadras, ni les quinquas d’aujourd’hui) restent encore invisibles. Certes nous en rencontrons, au détour de permanences associatives, de consultations médicales ou dans des services sociaux, mais nous restons presque à la surface de leur vie en traitant seulement des problèmes de droits sociaux ou de recouvrement de droits souvent en déshérence, sans pouvoir accéder à leur vision intime de leur bonheur ou leur malheur ou sur leur vécu de ces longues années dans l’immigration.
Ce travail peut être bénéfiquement mené en collaboration ou en partenariat par des femmes chercheuses et je suis convaincu qu’elles se retrouveront moins aux prises ou confrontées à des paramètres socioculturels très enracinés que des hommes ne peuvent dépasser facilement.
On me demande régulièrement ce qui peut justifier une si longue proximité de plus de trente ans avec les questions de la vieillesse au sein de l’immigration et je réponds invariablement que j’ai juste appris à marcher lentement au rythme des gens. Je fais donc l’éloge de la lenteur mais une lenteur éclairante à plus d’une occasion sur ce que tous ces gens sont devenus après le travail et sur ce que l’immigration a fait d’eux. Peut-être que dans une prochaine édition, j’aurai la chance si Dieu nous prête vie de revenir sur ces manques et de continuer ce cheminement avec cette génération et dont nous devinons les uns et les autres le terme.
Immigrer n’est pas un voyage anodin et il arrive même que les déconvenues sociales rencontrées par les migrants soient lourdes de conséquences. C’est ainsi que je perçois le déclassement social sévère rencontré par ceux qui sont partis vers le Canada que ni leur jeunesse, ni leur surqualification ne leur ont épargné l’épreuve d’un chômage beaucoup plus important que dans la population locale. Aussi et dans un autre registre on est surpris par ce taux important des divorces et des séparations qui affecte les couples marocains dans ce même pays. Tout ceci relaté dans l’article de Remy Tremblay et France Drolet concernant les Marocains du Canada mérite une grande attention. Il me suggère par ailleurs cette réflexion, que souvent encore les attentes ou les intentions de l’accueillant et de l’accueilli ne convergent pas systématiquement et que l’insertion ou l’intégration comme en voudra peut être parfois au prix de quelques dommages collatéraux. En ce sens et devant de tels constats, il faut s’armer de ce principe spinoziste précieux : « Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas déplorer mais comprendre. »
Dans un autre contexte et avec une note plus positive, l’immigration vers l’Afrique, partant de l’exemple des Marocains de l’Afrique de l’ouest ceux du Sénégal et en Côte d’Ivoire constitue une rupture avec la vision convenue de l’immigration uniquement dictée par une précarité et la recherche de sources de revenus. Mieux, les émigrants sont devenus acteurs importants dans le développement économique de ces pays. S’ajoute à cela, des liens sociaux et familiaux qui enracinent cette présence.
Ces nouveaux horizons dans l’article de Johara Berriane laissent entrevoir la place de ces Marocains du monde avec plus d’optimisme et certainement moins d’inquiétude que dans d’autres expériences vécus ailleurs.
Si l’expérience rapportée dans ce volume concernant l’Afrique centrale, ne procède pas d’une profondeur historique comme celle de l’Afrique de l’Ouest, elle introduit pour sa part vers l’avenir et met en relief l’expérience de cette génération de la coopération sud-sud comme le souligne Mhamed Echkoundi dans son article.
Enfin je partage le constat du Si Berriane selon lequel, il n’y a pas un modèle standardisé de l’immigration marocaine parce que ce sont des migrations chacune ayant ses spécificités, ses logiques, ses attentes et son cheminement singulier. Mais il y a quelque chose de plus important dans son texte sur la migration vers le pays du Golfe, à savoir la redécouverte d’un modèle migratoire qu’on pensait définitivement dépassé parce que précaire et lié uniquement au travail qui en est la légitimité de présence dans ces pays. Voici un modèle perçu par exemple en Europe comme un anachronisme sociologique qui ne correspond que très marginalement à la figure du migrant marocain et qui renaît dans les pays du Golfe au nom d’une vision brutale qui interdit toute intégration ou enracinement si elles ne sont pas provisoires. Je voudrai que l’on mesure et que l’on prenne très au sérieux les conséquences à long terme si ce n’est déjà dans l’immédiat pour certains, l’impact de l’absence de protection sociale et de garantie de ressource pour les vieux jours de ceux qui sont partis vers ces pays. Lorsque l’on sait que même dans les pays avec lesquels le Maroc est signataire de conventions bilatérales de sécurité sociale, les difficultés dans l’application des termes de ces accords sont courantes, que dire de ces situations où les gens ne pourront compter que sur leur bonne santé et sur leurs économies pour se protéger des aléas de la vie et avoir de quoi vivre s’ils ne travaillent plus.
Demain, des enfants et des petits enfants trouveront dans cet ouvrage avec une telle diversité d’approche et d’analyse, des éléments forts utiles sur les sagas de leurs ascendants et nous rendrons même justice pour ce faire qui ne les pas simplement enfermés en flux migratoires.
Riche est donc notre expérience migratoire comme cela peut être constaté à travers les différentes contributions, avec ses métamorphoses, ses transformations et son avenir. Elle est aussi une manière de connaitre le Monde à travers les nôtres et à travers leur vie.
Omar Samaoli – contributeur