Ce texte est à la vérité un constat d’impuissance, une sorte de » mea culpa » devant une réalité humaine dont nous présentions (présentons toujours) les difficultés qu’elle pouvait receler mais qui nous échappe dans ses profondeurs pour différentes raisons:
Le sujet n’est pas mobilisateur parce qu’il éloigne de l’entendement convenu de qu’est-ce qu’un immigré (*) et à plus forte raison un immigré au travail et issu de l’immigration de travail. Souvenons-nous, il n’y pas si longtemps encore toutes les recherches sur le vieillissement des immigrés de manière générale paraissaient incongrues parce qu’elles rompaient avec les standards de l’immigration à problèmes ou uniquement comme problèmes posés au pays d’accueil dans sa gestion ou sa régulation.
* Le confinement des femmes dans la sphère domestique, faisait de ces dernières » des sujets captifs ou des prisonnières » dans la sphère familiale et par conséquent, elles étaient (le sont) difficilement abordables. Les lois de l’immigration et sur l’immigration elles-mêmes ont maintenues pendant très longtemps les femmes « sous la tutelle » de leur époux et « bienfaiteur » à qui elles devaient être extrêmement redevables et jusque dans leur existence administrative en France.
* L’empathie qui s’est développée à juste raison sur la situation souvent catastrophique des hommes seuls, n’a jamais laissé de place pour poser la question du vieillissement non pas comme un épiphénomène, marginal ne concernant que quelques vieux messieurs perdus dans le labyrinthe d’une mauvaise insertion urbaine ou une insertion à tout le moins problématique mais en tant que situation sociale et familiale totale, de personnes ordinaires ne relevant d’aucune exception sociale, urbaine ni même sanitaire.
* L’approche des femmes et des réalités des femmes auraient grandement tirées profit d’une mobilisation d’enquêtrices de terrains femmes aussi. J’ai souvent signalé les limites, les contraintes sous-jacentes et les choses qui ne seront jamais dites dans mes rencontres avec des femmes et à plus forte raison celles de ces générations pionnières. Des années durant j’ai toujours pu prendre appui et compter sur la mobilisation d’une proximité culturelle pour accéder aux aspirations et attentes de tous les vieux immigrés que j’ai pu rencontrer. C’est cette même proximité qui opère dans la situation des femmes âgées comme un frein et qui fixe les limites à ce qui est permis de solliciter à travers leur parole, de dire ou de donner à voir.
* Enfin on peut aussi s’interroger à juste titre pour savoir si les efforts et les engagements visibles en direction des femmes immigrées englobent les pionnières, les plus âgées, les invisibles. Celles qui ne sortent pas de chez elles ou très peu mais jamais sans être accompagnées parce qu’elles ne sauront où aller. Celles qu’on ne voit qu’aux aéroports où dans les postes frontières pour découvrir qu’elles existent et qu’elles habitent aussi en France. Ou sont toutes celles qui sont mentionnées comme formant « des ménages ordinaires » et qui sont si inaccessibles à notre regard et à nos interrogations ?
Les contours de la question de la vieillesse des immigrés se dessinent de plus en plus. Ils s’inscrivent globalement dans des préoccupations liées à l’avance en âge, dans les besoins de personnes devenues vulnérables ou fragiles, dans la mise en place de dispositifs préventifs sociaux et sanitaires et enfin dans la lutte contre les risques d’exclusion sociale. Ce qui est assez surprenant c’est la polarisation de cet intérêt sur la seule situation des hommes, reproduisant ainsi le lien entre une immigration de travail et la présence sélective des seuls hommes immigrés.
Le passage à la retraite et la vieillesse des femmes immigrées seront d’abord la mise en lumière d’une population très mal connue, n’ayant rien à négocier jusque dans son statut au sein de la société d’accueil parce que tributaire, qui du regroupement familial, qui des droits dérivés conférés à des épouses. On peut parier que ces conditions de présence, sans légitimité liée au travail comme déterminant de la présence immigrée a été un handicap social dans le parcours de bon nombre de femmes immigrées.
C’est sur cette difficulté principale que viennent se greffer tous les déficits et les facteurs à risque d’une mauvaise insertion sociale ou à tout le moins une insertion problématique, comme l’analphabétisme, l’absence ou l’insuffisance de ressources propres ou le statut matrimonial. Bon nombre de femmes de l’immigration ont vécu des années durant dans un isolement lié à l’absence du conjoint qui travaillait de longues journées et à la rupture des réseaux traditionnels familiaux et de voisinage.
Il va sans dire qu’un intérêt, justifié par ailleurs, a été abondamment consacré à la population immigrée âgée qui vit isolée au regard des risques potentiels d’une mauvaise insertion urbaine ou de la complexité dans la mise en œuvre de stratégies préventives d’un mauvais vieillissement. Cependant tout ceci est sans commune mesure avec les indications statistiques nationales au sujet de la présence des populations immigrées dont nous disposons et qui offrent un tout autre visage de l’immigration vieillissante.
Au plan gérontologique, il n’y a pas une adéquation systématique entre immigration, vieillissement et isolement. La plupart des immigrés vieillissent « en ménages ordinaires », selon la terminologie statistique et, parmi eux, seuls 10 % des hommes vivent seuls, sans conjointe. Paradoxalement plus du quart des femmes âgées vivent isolées. Elles sont veuves (12 %), divorcées ou séparées (12 %), ou bien encore célibataires (5 %). Plus important encore il y a une adéquation entre isolement féminin et avance en âge : 18 % chez les 45-49 ans, 20 % chez les 50-54 ans, 27 % chez les 55-64 ans, et 35,5 % chez les 65-70 ans.
Ces éléments statistiques apportent des indications précieuses à plus d’un titre. D’abord elles permettent de réintroduire la problématique du vieillissement des immigrés dans l’espace urbain ordinaire loin de la vie dans le logement spécifique aux immigrés (FTM) ou des institutions dédiées aux personnes âgées. Dans ce prolongement, l’intérêt accordé à la vieillesse des femmes immigrées, permet d’accéder au cadre social ordinaire de vie que peut constituer la vie familiale, d’apprécier les dynamiques relationnelles, les rôles sociaux des acteurs confrontés à l’épreuve de la vieillesse. Nul doute que nous avons là une opportunité pour accéder à des femmes et de pouvoir les entendre non seulement sur leur propre vieillesse mais aussi en tant qu’actrices incontournables dans les édifices familiaux comme aidantes naturelles ou soutien dans la vieillesse d’un conjoint ou d’un proche en mauvais état de santé.
Sans aucun doute que les besoins élémentaires de ces femmes immigrées sont les mêmes que celles autres femmes âgées. Ce qui nous fait défaut c’est la perception globale de la vie du couple âgé immigré. Les nouvelles relations qui s’instaurent avec des maris qui ne travaillent plus parce que vieux aussi. Quelles sont les occupations quotidiennes de ces couples ? Comment sont redéfinis les rapports avec les enfants dans la plupart du temps désormais eux-mêmes adultes aujourd’hui.